Lettre ouverte à Madame Sophie Cluzel, Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre, chargée des Personnes handicapées

Madame la Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées,

Suite à la pétition citoyenne déposée par Véronique Tixier, le sénateur des Deux-Sèvres, Philippe Mouiller, a été désigné le 20 janvier 2021 comme rapporteur d’une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale en février 2020, visant à désolidariser les revenus du/de la conjoint·e pour le calcul de l’Allocation Adulte Handicapée (AAH).

En effet, celle-ci est actuellement calculée sur la base des revenus d’il y a deux ans du ménage (mariage, concubinage ou pacs). Le plafond des revenus d’un couple sans enfant ne doit pas dépasser les 19 607 € pour que l’AAH soit versée à la personne conjointe handicapée (plafond majoré de 5 416 € par enfant à charge). Il est à noter que le coefficient multiplicateur pour calculer le plafond de ressources pour un allocataire en couple est passé de 2 à 1,81 depuis novembre 2019, ce qui a conduit à réduire le niveau annuel du plafond de 21 600 € (montant annuel de l’AAH en 2019 = 10 800 € x 2) à 19 548 € (montant annuel de l’AAH en 2019 = 10 800 € x 1,81), et donc à exclure davantage de personnes.

Le gouvernement, dont vous faites partie, est donc responsable d’une dégradation de la situation des ménages les plus fragiles comprenant au moins un·e conjoint·e handicapé·e et cela dans le seul but d’effectuer une économie estimée par le Sénat à 270 millions d’euros en 2020.

Madame la Secrétaire d’État, la désolidarisation des revenus du/de la conjoint·e pour le calcul de l’AAH ne doit pas être une décision économique mais une nécessité dans l’autonomie des personnes en situation de handicap.

Vous vous opposez à ce projet de loi en argumentant que les conjoint·e·s doivent s’entraider. Or, lorsque l’un·e d’eux se trouve dans une situation de quasi-tutelle, le positionnant de fait dans un état de dépendance, les risques d’abus sont une réalité que les chiffres viennent tristement confirmer : 9% des femmes handicapées ont été victimes de violences physiques et/ou sexuelles, contre 5,8% des femmes valides[1]. En outre, 52 % des bénéficiaires de l’AAH sont des hommes tout autant pénalisés par les dispositions actuelles. Malheureusement, aucune donnée statistique concernant les couples LGBTQI+ n’est à notre disposition aujourd’hui, mais nous pouvons légitimement considérer par extrapolation que nous ne sommes pas plus épargné·e·s.

L’entraide, Madame la Secrétaire d’État, est un principe qui, pour être équilibré, doit être mutuel et non unilatéral. Il ne faut pas confondre entraide et assistance.

Vous avez également déclaré que « c’est le fondement même de notre système que d’assurer la juste redistribution de l’effort de solidarité vers ceux qui en ont le plus besoin » et qu’ «il est légitime de tenir compte de l’ensemble des ressources du foyer des bénéficiaires ». C’est ignorer que le respect de la personne handicapée est l’objectif premier de ce projet de loi, en réparant l’injustice fondamentale de la privation d’autonomie financière. À votre logique comptable de la solidarité, nous opposons une logique qui se préoccupe d’abord des individus.

Enfin, vous agitez le spectre qu’une telle mesure conduirait à la « déconstruction de nos dispositifs de protection sociale » tout en précisant que « les abattements sur les ressources prises en compte pour l’éligibilité à l’AAH sont nettement supérieurs à toutes les autres allocations ». Comment expliquez-vous alors que près de la moitié des personnes reconnues adultes handicapées vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Seriez-vous capable de tenir votre budget avec un peu plus de 900 € par mois ? Faire passer les allocataires de l’AAH pour des privilégié·e·s est un argument que nous jugeons incompréhensible de la part d’un membre du gouvernement censé défendre nos droits.

Madame la Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, cette lettre ouverte vous est adressée car nous savons que vous et votre majorité êtes opposées à la proposition de loi visant à désolidariser les revenus du/de la conjoint·e pour le calcul de l’Allocation Adulte Handicapée (AAH). Nous savons également que ce n’est pas la première fois qu’une telle proposition est proposée et rejetée.

C’est pourquoi, l’Inter-LGBT qui fédère également des associations et des personnes physiques concernées, serons particulièrement attentives et attentifs au débat qui aura lieu le 9 mars prochain au Sénat et dont le sénateur Philippe Mouiller sera le rapporteur.

Nous revendiquons le soutien de cette proposition de loi au titre de l’autonomie, du respect et de la protection des personnes adultes handicapées au sein et hors de nos communautés et nous nous associons à toutes les autres structures associatives qui se sont exprimées favorablement sur ce texte. Nous n’hésiterons pas à nous opposer à des arguments qui opposent la logique budgétaire à la dignité humaine.

Les retards de la France dans le domaine de l’inclusion des personnes handicapées sont conséquents et pointés en 2017 par la rapporteure de l’ONU sur les droits des personnes handicapées. Refuser la désolidarisation des revenus du/de la conjoint·e pour le calcul de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) serait un pas en arrière dans notre accès à la pleine citoyenneté, à nous, personnes handicapées.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Secrétaire d’État, l’expression de notre haute considération.


[1] Chiffres de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et du SSMSI (Service statistique ministériel de la sécurité intérieure)