Vote définitif de la loi Avia : l’Inter-LGBT appelle les député·e·s à la vigilance

Pour tenter de lutter contre la haine sur internet, l’assemblée nationale va voter le mercredi 13 mai la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite « PPL Avia ». Si la raison est louable, protéger les internautes contre les propos haineux en ligne ne saurait se faire en violation de la liberté d’expression. À la veille de ce vote, l’Inter-LGBT réitère ses inquiétudes sur les effets potentiellement néfastes de cette loi.

La mesure phare de cette loi vise à contraindre les plateformes à supprimer les contenus illégaux, ou réputés tels, sous un délai de 24h sous peine d’amendes lourdes. Or l’expérience passée, notamment en France, prouve que souvent des contenus sont supprimés abusivement par peur des sanctions financières encourues alors même qu’ils ne sont pas contraires à la loi. Un tel risque a par ailleurs été dénoncé par de nombreuses institutions telles que le rapporteur à la protection de la liberté d’expression de l’ONU, la Commission européenne et la CNCDH [1] ou la Ligue des Droits de l’Homme France. L’Inter-LGBT avait également alerté sur ces risques en juillet 2019[2] et en janvier 2020[3].

En se reposant sur le libre-arbitre des plateformes de diffusions sans passer par la seule compétence de la justice de l’État, il est à craindre que s’opère une amplification des techniques de filtrage et de suppressions massives de contenus pénalisant lourdement l’expression artistique, certaines activités professionnelles, la diffusion de messages positifs pour les LGBTQI ou les campagnes de prévention de santé sexuelle.

Les artistes, mais aussi les féministes et les personnes lesbiennes, gaies, bies ou trans sont aujourd’hui déjà trop souvent victimes de censure de la part des réseaux sociaux. Ils et elles voient leurs contenus retirés de manière arbitraire et leurs comptes suspendus. La nudité, les baisers entre personnes de même sexe sont déjà régulièrement censurés car massivement signalés par les mouvements opposés à l’égalité des droits et assimilés à de la pornographie. L’exemple de l’artiste Leslie Barbara Butch, qui avait posé nue en couverture du magazine Télérama en Février 2020[4] pour dénoncer la grossophobie, illustre bien cette problématique : ses comptes et photos ont été bloquées sur certaines plateformes, illustre bien cette problématique.

Cette loi touche aussi les travailleur·se·s du sexe pour lesquel·le·s les plateformes de diffusion en ligne sont des outils indispensables à leurs activités[5]. Face à la période de confinement qui incite au télétravail, de nombreux·ses travailleur·se·s du sexe se sont tournées vers le travail sexuel en ligne. La loi risque de les confronter à une nouvelle menace en les privant de ces outils, les poussant encore d’avantage vers la stigmatisation et la précarité.

Enfin, la loi prévoit dans le cas d’un signalement émanant d’une personne mineure, que l’association saisie doive informer « selon des modalités adaptées à l’intérêt de l’enfant, ses représentants légaux de ladite notification ». Or, s’il est question de contenus LGBTphobes, cette mesure va obliger les associations à révéler l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre des enfants mineur·e·s à leurs parents. Une telle mesure va donc contraindre les jeunes qui grandissent dans un contexte hostile à renoncer à tout signalement, sauf à risquer de subir des violences dans leur famille.

L’Inter-LGBT rappelle que la mise en place de véritables politiques de sensibilisation, notamment auprès des jeunes, est une condition sine qua non à la réduction des discriminations. Ce n’est pas seulement la diffusion d’un contenu qu’il faut viser, mais bien son origine pour que les mentalités évoluent et que la haine disparaisse. Cela passe par un véritable programme de prévention à l’école dès le plus jeune âge, avec un budget adéquat et le développement de modules comme le « Permis internet pour les enfants » conçu par l’éducation nationale en collaboration avec les forces de l’ordre.

D’autre part, seule une augmentation conséquente des moyens humains et financiers de la plateforme PHAROS permettra de lutter efficacement contre les contenus haineux en ligne, dans un contexte où les signalements ne cessent d’augmenter (en 2018, les 4 enquêteurs en charge des signalements pour toutes les discriminations ont dû traiter plus de 17 500 contenus signalés). La priorité ne doit pas être de faire quelques condamnations « pour l’exemple » mais bien de traiter tous les signalements et d’apporter une réponse systématique sans surenchère pénale.

En cette semaine de journée internationale de lutte contre les LGBTIphobies, l’Inter-LGBT renouvelle aujourd’hui ses craintes de voir naître une loi liberticide, contre-productive et inefficace et appelle une nouvelle fois les parlementaires à rejeter le texte de cette loi en l’état pour proposer une réponse mieux adaptée faisant de la prévention et l’éducation des utilisateur·rice·s un combat légitime et nécessaire contre les discours haineux en ligne.


[1] https://www.cncdh.fr/fr/publications/lutte-contre-la-haine-en-ligne-la-cncdh-sinquiete-pour-les-libertes-fondamentales

[2] https://www.inter-lgbt.org/non-la-lutte-contre-la-haine-ne-saurait-justifier-la-censure-communique-de-presse-du-08-07-2019/

[3] https://www.liberation.fr/debats/2020/01/21/feministes-lgbti-et-antiracistes-nous-ne-voulons-pas-de-la-loi-cyberhaine_1774297

[4] https://www.telerama.fr/medias/grossophobie-contre-la-censure-des-reseaux-sociaux,-postez-la-une-de-telerama,n6601971.php

[5] https://tetu.com/2020/01/22/loi-avia-les-escorts-en-ligne-epargnes-mais-les-acteurs-pornos-sinquietent/