1er DÉCEMBRE 2021 : JOURNÉE MONDIALE CONTRE LE SIDA

À l’aube des années 80, des médecins de New York et de San Francisco s’alertent de constater qu’un grand nombre de leurs patients homosexuels souffrent d’asthénie, de perte de poids et, plus inquiétant encore, d’une forme rare et atypique de cancer. Le 5 juin 1981, le Center for Disease Control (CDC) en fait état dans une publication qui marquera symboliquement le début de la pandémie de sida.

Sur le chemin de ce combat engagé il y a 40 ans, plus de 32 millions de vies arrachées, 37,9 autres millions de vies porteuses du virus. Bien sûr, l’arrivée des trithérapies au milieu des années 90 fut une victoire incontestable contre le VIH. Les traitements ont ouvert aux malades un horizon de vie jusque-là interdit. Pour autant, faut-il considérer que nous en avons fini avec ce virus ? Faut-il se satisfaire de ce statu quo qui a fait basculer le VIH de maladie mortelle à maladie chronique ?

Si nous saluons l’inauguration d’une place à Paris, qui rend enfin hommage à toutes celles et tous ceux dont le parcours de vie s’est écrit ou s’écrit en entremêlant ses lignes à celle de la maladie, nous ne pouvons concevoir que cela en constitue un épilogue symbolique.

Non, remporter une bataille ce n’est pas gagner le combat et si ses contours revêtent un visage moins mortifère, le VIH n’en reste pas moins un redoutable adversaire. Croire que nous en avons fini avec le VIH-sida, c’est ignorer que celui-ci, comme toutes les maladies transmissibles, se nourrit des exclusions, stigmatisations, ignorances ainsi que de l’austérité budgétaire.

Les cinq années de présidence d’Emmanuel Macron ont encore dégradé la situation, tant en termes de moyens que d’exclusion des populations vulnérables. Alors que le ministre de l’Intérieur, poursuivant avec zèle l’action de ses prédécesseurs (au point de trouver « molles » les propositions de l’extrême-droite), n’a eu de cesse de faire la chasse aux personnes venues de l’étranger, se gargarisant à longueur de tweets d’enfoncer encore plus ces dernières dans la clandestinité et de les empêcher d’accéder aux services les plus essentiels comme les soins, il oublie qu’elles représentent une part de plus importante des nouvelles infections au VIH, et que l’essentiel d’entre elles se produisent à leur arrivée sur le territoire européen, loin du fantasme d’une invasion de malades qui viendraient en France pour bénéficier de soins à moindre coût.

Comme toute crise sanitaire, le VIH a été et continue d’être un révélateur des failles de nos sociétés, de nos systèmes et des inégalités qu’elles peuvent engendrer. La Covid n’a fait qu’amplifier ce constat de carences de l’État, laissant sur le bas-côté les personnes trans, les travailleur.se.s du sexe et les usager.e.s de drogue, déjà en prise avec le VIH et dont la survie n’a reposé que sur des initiatives communautaires. Si, en France, le VIH-sida n’est plus prioritairement un combat pour la vie, il reste un combat démocratique, moral et politique.

Et ce combat ne pourra être mené qu’en redonnant leur place aux patient.es, à leur entourage, et aux associations de patient.es qui ont été à l’avant-garde de ce combat. Non pas pour colmater les brèches de plus en plus larges, dans des politiques gouvernementales venues d’en haut, mais pour orienter les décisions en matière de santé publique, y compris de santé sexuelle.

Nos associations construisent chaque jour des réponses inventives et efficaces pour toucher les publics-cibles, tant en matière de prévention, de diagnostic, de prise en charge et de construction de parcours de vie. Nous avons les idées, mais l’accès aux moyens financiers, humains et matériels est de plus en plus complexe. Nous avons les idées, nous voulons les moyens. Nous ne pouvons-nous substituer à une mort physique une mort sociale. NOUS NE POUVONS NOUS RÉSOUDRE À INVISIBILISER LES PERSONNES SÉROPOSITIVES.

Enfin, il nous apparait insupportable que le gouvernement traîne autant des pieds pour abonder, comme il s’y était engagé à Lyon en 2019, le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme à la hauteur des besoins, criants, de la prévention à l’accès aux traitements. On ne construit pas de politique efficace contre une pandémie en construisant des murs à nos frontières, mais bien en organisant la solidarité internationale.

Si nous voulons vraiment rendre hommage à toutes celles et tous ceux que nous avons regardé·e·s mourir dans l’impuissance la plus totale, malgré la mobilisation de nos communautés, il faudra bien plus qu’une plaque ou un mémorial mais de vrais gestes politiques. 

Nous ne saurions conclure sans évoquer un mal tout aussi redoutable que le virus lui-même. La sérophobie est une discrimination aux conséquences gravissimes et parfois mortelles. Elle est le fruit de l’ignorance, de peurs irrationnelles, de représentations très éloignées de la réalité, mais aussi de l’absence de politiques publiques cohérentes construites avec et pour les personnes vivant avec le VIH. Parfois même, l’État participe à cette sérophobie ordinaire en excluant les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) de certains emplois, notamment au travers du référentiel SIGYCOP pour la sélection sur les emplois militaires.

La haine, le rejet ou l’exclusion ne sont pas une fatalité. Nous, associations, luttons à notre niveau contre cet autre fléau. Mais la lutte contre cette forme aiguë de discrimination nécessite un engagement fort, concerté et coordonné des politiques publiques. Les traitements permettent aux PVVIH de vivre, et de vivre mieux. La société ne doit pas accepter une autre forme de mort en retour.

Si cette journée du 1er décembre est une journée de recueillement, elle reste avant tout une journée de revendications. C’est pour cette raison que l’Inter-LGBT demande :

  • Une promotion volontariste de l’ensemble des outils de prévention dont nous disposons aujourd’hui (préservatifs internes et externes, PreP, TPE, TasP et qui rendraient possible l’objectif de « zéro contamination » si leur accès était rendu effectif auprès de tou·te·s,
  • Une prise en charge intégrale par la Sécurité Sociale de coût des autotests et leur libre distribution par toutes les associations,
  • Des moyens significatifs alloués à la recherche sur le VIH dont les retombées, comme souvent en médecine, pourront avoir des impacts significatifs sur d’autres pathologies, 
  • Le financement pérenne de centres de santé communautaires, soit pour en augmenter la capacité, soit pour en créer de nouveaux. Ces établissements ont prouvé leur efficacité et répondent à un réel besoin,
  • La restauration d’une Aide Médicale d’État (AME) inconditionnelle et sans rogner sur le panier de soins,
  • Une implication financière et politique dans le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. 

Parce que les lois répressives ont prouvé leur inefficacité et qu’elles constituent un contre-sens en termes de prévention et de politique de réduction des risques, nous demandons également :

  • L’abrogation de la loi de 2016 sur la lutte contre le système prostitutionnel, instaurant le délit de pénalisation des client.es, et de toutes les lois et arrêtés municipaux entravant le libre exercice du travail du sexe,
  • Une politique médico-sociale volontariste d’accompagnement des usagèr.e.s de drogues et de leur entourage, pour éviter les drames mortels que nous ne connaissons que trop parmi les chemsexeur·se·s et autres consommateurs.